
La pénurie de main-d’œuvre qualifiée est sur toutes les lèvres. Et dans le même temps, bon nombre de diplômés en architecture empruntent des parcours professionnels atypiques après leurs études. Quelle est la position de la SIA sur le sujet de la formation en architecture ? Nous avons interrogé Lea Prati, chargée de cette thématique au sein du groupe professionnel Architecture.
La pénurie de main-d’œuvre qualifiée est sur toutes les lèvres. Et dans le même temps, bon nombre de diplômés en architecture empruntent des parcours professionnels atypiques après leurs études.
Lea Prati: En 2022, j’ai fait partie du jury de la première édition du nouveau Prix Master Architecture. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance du groupe professionnel Architecture. La perspective de reprendre le flambeau de la formation de mes prédécesseurs, Jacqueline Pittet et Astrid Dettling-Péléraux, s’est alors imposée presque naturellement en raison de mon activité et de mon intérêt pour l’enseignement. Après mes études, j’ai moi-même travaillé dans l’enseignement, à la Haute école de Lucerne et à l’Accademia di Mendrisio.
La formation est l’un des six thèmes prioritaires de la SIA. La SIA cible-t-elle avant tout la formation pratique et la formation continue des professionnels ou bien s’intéresse-t-elle également à la formation initiale ?
Je pense que, sur ce point, les choses ont évolué au cours des cinq dernières années. La crise climatique a renforcé la SIA dans la conviction que la formation, qu’elle soit initiale ou continue, revêtait une importance cruciale pour l’avenir de la branche et de la société en général. Le secteur suisse de la construction génère chaque année environ 11 millions de tonnes d’équivalent CO2 et plus de 80 % des déchets produits en Suisse. Autrement dit, le fait de former les conceptrices et concepteurs à des modes de construction plus respectueux du climat constitue un levier puissant dans la lutte contre le changement climatique.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? La SIA s’implique-t-elle dans la formation au sein des hautes écoles ?
Le contact avec les hautes écoles est un lien important que nous devons activer. Pour moi, c’est le prochain point sur la liste. Parce qu’il s’agit de maintenir le dialogue. Si le Prix Master Architecture de la SIA a été relancé en 2022, c’est précisément pour établir une passerelle entre la formation et le terrain.
Quels sont les autres points sur la liste ?
Notre groupe de travail chargé de la formation au sein du BGA a lancé un projet visant à répertorier l’ensemble des formations existant en Suisse dans le domaine de l’architecture. En effet, au-delà de la formation universitaire classique en architecture, il existe tout un éventail de professions apparentées, par exemple dans la représentation des maîtres d’ouvrage, le secteur immobilier ou encore au niveau pré-universitaire, avec les professions issues de l’ apprentissage.
Il est important de montrer toutes les possibilités existantes si nous voulons que les personnes intéressées puissent se faire une idée – pour leur parcours éducatif et professionnel. De nos jours, seule une partie des diplômés choisit la voie classique, à savoir étudier dans une haute école, puis travailler dans un bureau d’architecture ou se mettre à son compte. Avoir un meilleur aperçu permettrait de diversifier l’image de l’architecte.
Vous avez mentionné le fait que bon nombre d’étudiants en architecture se retrouvaient à ne pas exercer le métier d’architecte. Une étude menée récemment en France l’a d’ailleurs confirmé. Qu’en est-il en Suisse ? La SIA a-t-elle des statistiques à ce sujet ?
C’est plutôt un ressenti subjectif qui découle de mon expérience en tant qu’architecte. Je constate souvent que les personnes qui n’ont pas suivi le cursus de formation classique restent dans les bureaux d’architecture, alors que celles qui ont choisi une carrière conventionnelle se retrouvent dans des métiers apparentés, comme la représentation des maîtres d’ouvrage ou l’administration. Cela peut être un parcours professionnel formidable, dans la mesure où ce métier a de multiples facettes.
Vous avez votre propre bureau et, dans ce cadre, vous êtes en contact avec des diplômés qui arrivent directement des hautes écoles. Comment évaluez-vous l’état actuel de la formation, en vous basant sur l’expérience pratique qui est la vôtre ?
Je crois que l’état actuel de la formation reflète assez bien ce que nous vivons actuellement, à savoir une époque de transformation, marquée par l’incertitude, mais aussi par de nouvelles possibilités. Dans les hautes écoles, les étudiants peuvent laisser libre cours à divers questionnements sans avoir à subir les contraintes économiques, ce qui est une chance. Mais ils ne sont pas à l’abri du doute, pas plus que nous, les professionnels, et s’interrogent sur la place de l’architecture à une époque comme la nôtre. On ne peut que s’en féliciter.
Je suis très proche de l’ETH Zurich et je suis consciente de l’ampleur du travail intellectuel qui y est accompli. Crise du logement, écologie, toutes ces questions y sont débattues. Y compris sur un plan théorique, ce que j’approuve. Car nous devons réfléchir avant de pouvoir agir.
Christoph Gantenbein, membre du comité du Conseil suisse de l’architecture, a déclaré lors d’un entretien consacré au Prix Master Architecture de la SIA que le volume de travail lié à la communication des architectes avait explosé ces dernières années. Il est nécessaire, selon lui, de réunir les différentes parties prenantes autour d’une table et de réussir à communiquer les informations d’une manière adaptée à chaque groupe cible. Sans doute devons-nous mettre davantage en avant cette capacité à communiquer durant la formation, car celle-ci, au-delà de la construction et de la conception, doit apprendre aux étudiants à aborder les problèmes.
Les architectes sont des généralistes de grand talent dotés d’une excellente faculté d’analyse. C’est une compétence que l’on peut utiliser dans bon nombre de situations. Cela tient notamment au fait que nous cultivons un esprit de curiosité, en particulier dans les hautes écoles. On remet les choses en question, on cherche par soi-même, on trouve une source, on établit des parallèles captivants. Cette méthode peut s’appliquer à une multitude de profils professionnels. Et on peut tout à fait y voir une forme de créativité.
Le Prix Master Architecture de la SIA en est bientôt à sa quatrième édition. Vous faites partie de l’aventure depuis le début, d’abord comme membre du jury, puis comme membre du BGA. Avez-vous une suggestion à faire pour rendre ce prix encore meilleur ?
Le Prix Master Architecture de la SIA est une récompense importante qui permet depuis plusieurs années d’avoir un aperçu représentatif de l’enseignement de l’architecture.
Dans bien des cas, les travaux soumis sont le fruit d’un travail intellectuel approfondi et suscitent des échanges animés lors de leur évaluation. J’aimerais parfois que ces débats puissent être menés avec la participation du public intéressé. L’exposition « Sign of the Times » présentée l’an dernier au Musée suisse d’architecture S AM était un premier pas dans cette direction, mais je souhaiterais que l’on aille encore plus loin et que, de manière générale, ce prix soit prétexte à parler de la formation dans le domaine de l’architecture. Peut-être pourrions-nous, après cinq ans de Prix Master Architecture de la SIA, organiser un symposium où nous parlerions de ces sujets. Ce serait formidable.
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Jury 2025
Anne Marie Wagner, Bâle
Jan Kinsbergen, Zurich
Jeanne Wellinger, Lausanne
Manuel Burkardt, Zurich
Marco Zünd, Bâle
Pauline Sauter, lauréate 2024
Pia Durisch, Massagno
Rolf Mühletaler, Berne
Vincent Rapin, Vevey